Le filtre à densité neutre, ou filtre ND, est un accessoire photographique qui s’apparente à des lunettes de soleil pour votre objectif. Sa fonction principale est de réduire la quantité de lumière qui atteint le capteur de l’appareil photo, sans pour autant altérer les couleurs de la scène. Cette particularité technique ouvre un champ créatif immense, notamment pour les photographes de paysage ou de portrait en extérieur. En maîtrisant l’apport lumineux, il devient possible de travailler avec des temps de pose très longs, même en plein jour. L’eau d’une cascade se transforme en un voile soyeux, les nuages filent dans le ciel en traînées dynamiques et les passants d’une place animée s’évanouissent comme des fantômes. Comprendre les subtilités de ces outils est donc une étape fondamentale pour quiconque souhaite explorer les possibilités de la pose longue et donner une nouvelle dimension à ses images.
Les différents types de filtres ND
Avant de s’interroger sur la puissance d’un filtre, il convient de se pencher sur sa forme physique. Le marché propose principalement deux systèmes distincts, chacun présentant des avantages et des inconvénients qui orienteront le choix du photographe selon sa pratique et son équipement.
Les filtres ND vissant circulaires
Le filtre circulaire est le système le plus répandu et le plus simple d’approche. Il se visse directement sur le filetage situé à l’avant de l’objectif. Sa grande force réside dans sa compacité et sa facilité d’utilisation. Léger et discret, il se glisse aisément dans une poche du sac photo. Il offre également une excellente protection contre les fuites de lumière, car il épouse parfaitement le contour de l’objectif. Le principal inconvénient est lié au diamètre : chaque objectif ayant son propre diamètre de filetage, il faudrait théoriquement posséder un filtre pour chaque optique. Heureusement, il existe des bagues d’adaptation (appelées « step-up rings ») qui permettent de monter un filtre de grand diamètre sur un objectif plus petit, offrant ainsi une solution économique et polyvalente.
Les filtres ND sur porte-filtre
Le système à porte-filtre est une approche plus modulaire et professionnelle. Il se compose de trois éléments : une bague d’adaptation vissée sur l’objectif, un porte-filtre qui se fixe sur cette bague, et enfin les filtres eux-mêmes, qui sont de forme carrée ou rectangulaire et se glissent dans des fentes prévues à cet effet. L’avantage majeur est sa polyvalence absolue. Une seule collection de filtres peut être utilisée sur tous vos objectifs, à condition de posséder la bague d’adaptation adéquate. Ce système permet de superposer facilement plusieurs filtres, par exemple un filtre ND avec un filtre dégradé (GND), ce qui est très apprécié en photographie de paysage. En contrepartie, l’ensemble est plus encombrant, plus complexe à mettre en place et nettement plus onéreux. Le risque de fuites de lumière sur les côtés est également plus présent si le système n’est pas parfaitement ajusté.
Une fois la forme du système choisie, une autre question fondamentale se pose, concernant cette fois la nature même de la densité du filtre.
Un filtre ND à densité fixe ou variable ?
La densité d’un filtre ND détermine sa capacité à bloquer la lumière. Sur ce point, deux philosophies s’affrontent : la constance d’un filtre à densité fixe ou la flexibilité d’un filtre à densité variable. Le choix entre les deux a des implications directes sur la qualité d’image et la commodité sur le terrain.
Les filtres à densité fixe
Un filtre à densité fixe, comme son nom l’indique, offre un unique niveau d’assombrissement (par exemple, ND8, ND64 ou ND1000). Pour faire varier l’effet, il faut physiquement changer de filtre. Si cette contrainte peut paraître fastidieuse, elle est le garant d’une qualité optique supérieure. Composés d’une seule couche de verre de haute qualité, ces filtres présentent généralement une excellente neutralité colorimétrique et un piqué d’image optimal. C’est le choix privilégié des puristes et des professionnels qui ne veulent faire aucun compromis sur le rendu final de leurs photographies. Leur principal défaut est donc la nécessité de transporter plusieurs filtres pour s’adapter aux différentes conditions lumineuses.
Les filtres à densité variable
Le filtre à densité variable, ou VND (Variable Neutral Density), est un outil ingénieux qui regroupe plusieurs densités en un seul filtre. Il est constitué de deux verres polarisants qui, en tournant l’un par rapport à l’autre, modulent la quantité de lumière transmise. Son avantage est évident : une flexibilité et une rapidité d’exécution inégalées. Plus besoin de dévisser et revisser des filtres, une simple rotation de la bague suffit pour ajuster l’exposition. Cependant, cette commodité a un prix. Les VND, surtout les modèles d’entrée de gamme, sont sujets à des défauts optiques. Le plus connu est l’apparition d’une croix noire ou d’un « X pattern » sur l’image lorsque le filtre est poussé à sa densité maximale. Ils peuvent également introduire une dominante de couleur et une légère perte de netteté. Ils restent néanmoins un excellent choix pour les vidéastes ou pour les photographes qui ont besoin de s’adapter très rapidement à des changements de lumière.
Le débat entre fixe et variable étant tranché selon les priorités de chacun, il reste à déterminer la puissance d’assombrissement nécessaire pour ses propres projets photographiques.
Quelle densité de filtre ND choisir ?
Le choix de la densité est crucial, car il conditionne directement le temps de pose et donc l’effet créatif final. Cette décision dépend de trois facteurs : le type de photo envisagé, le moment de la journée et la compréhension de la nomenclature des filtres.
Comprendre la nomenclature des filtres ND
La puissance d’un filtre ND peut être exprimée de plusieurs manières, ce qui peut prêter à confusion. Il est essentiel de comprendre leur correspondance pour faire un choix éclairé.
Coefficient ND | Densité Optique | Réduction de lumière (stops / IL) | Exemples d’utilisation |
---|---|---|---|
ND4 | 0.6 | 2 stops | Léger filé sur une rivière, portrait en plein soleil à grande ouverture |
ND8 | 0.9 | 3 stops | Filé plus prononcé sur une cascade, mouvement léger des vagues |
ND64 | 1.8 | 6 stops | Effet laiteux sur la mer au lever/coucher du soleil, nuages filés |
ND1000 | 3.0 | 10 stops | Mer d’huile ou ciel très dynamique en pleine journée |
ND100000 | 5.0 | 16.6 stops | Pose très longue pour éclipses solaires, architecture en pleine journée |
Choisir la densité selon le sujet et l’effet désiré
L’intention créative est le premier guide. Que souhaitez-vous capturer ?
- Pour un léger flou de mouvement : Un filtre de faible densité (ND4 à ND8, soit 2 à 3 stops) est suffisant pour créer un effet de filé subtil sur de l’eau en mouvement, tout en conservant de la texture. C’est idéal pour les ruisseaux en forêt ou pour utiliser une très grande ouverture (f/1.4, f/1.8) pour un portrait en plein soleil.
- Pour un effet soyeux et laiteux : Un filtre de densité moyenne (ND64, 6 stops) est extrêmement polyvalent. Il permet de lisser complètement la surface de l’eau ou de commencer à voir le mouvement des nuages, surtout pendant les heures dorées.
- Pour un rendu éthéré et minimaliste : Un filtre de haute densité (ND1000, 10 stops) est nécessaire. Il permet des temps de pose de plusieurs minutes même en pleine journée, transformant la mer en une nappe de brouillard et les nuages en traînées dramatiques.
La densité à choisir dépend donc intimement du rendu que vous imaginez pour votre photographie finale.
Avec ces éléments techniques et créatifs en main, il devient plus facile de prendre une décision d’achat pragmatique et adaptée.
Quel filtre ND acheter au final ?
Il n’existe pas de réponse unique à cette question, car le « meilleur » filtre ND est celui qui correspond à votre pratique. Cependant, une stratégie d’acquisition progressive est souvent la plus judicieuse pour constituer un kit cohérent sans se ruiner.
Le kit de démarrage idéal
Pour un photographe qui débute en pose longue, il est souvent recommandé de commencer non pas avec un, mais avec deux filtres à densité fixe. Un duo composé d’un filtre ND64 (6 stops) et d’un filtre ND1000 (10 stops) offre une polyvalence remarquable. Le ND64 sera parfait pour la majorité des situations rencontrées au lever et au coucher du soleil, tandis que le ND1000 prendra le relais pour les prises de vue en pleine journée ou lorsque des temps de pose extrêmes sont recherchés. En combinant ces deux filtres (si vous utilisez un système de porte-filtre), vous obtenez même une réduction de 16 stops, ouvrant la porte à des expérimentations encore plus poussées.
La logique d’investissement
L’approche la plus sage consiste à investir dans la qualité plutôt que dans la quantité. Mieux vaut posséder un seul excellent filtre ND64 que trois filtres bas de gamme qui dégraderont la qualité de vos images. Commencez par le filtre qui correspond le plus aux conditions dans lesquelles vous photographiez habituellement. Si vous êtes un adepte des heures dorées, le ND64 est un point de départ logique. Si votre contrainte est de photographier en pleine journée, le ND1000 sera plus pertinent. Par la suite, vous pourrez compléter votre collection en fonction des besoins qui émergeront de votre pratique sur le terrain.
Le choix du matériel ne s’arrête pas à la densité. La qualité de fabrication, directement liée à la marque, est un facteur tout aussi déterminant pour le résultat final.
Quelles marques de filtres ND choisir ?
Le marché des filtres photographiques est vaste, avec une offre allant de produits très abordables à des équipements professionnels très onéreux. S’il est tentant de se tourner vers les options les moins chères, il faut garder à l’esprit qu’un filtre est un élément optique placé devant un objectif qui a souvent coûté cher. Un mauvais filtre peut ruiner les performances d’une excellente optique.
Les critères d’un filtre de qualité
Plutôt que de se focaliser sur des noms, il est plus pertinent de juger un filtre sur des critères objectifs. Un bon filtre ND doit impérativement présenter les caractéristiques suivantes :
- La neutralité des couleurs : C’est le critère numéro un. Un filtre de qualité ne doit introduire aucune dominante de couleur (bleue, magenta, verte…). Le « ND » signifie « Neutral Density », et cette neutralité doit être respectée.
- La qualité du verre : Privilégiez toujours le verre optique (comme le Schott B270 ou le Gorilla Glass) à la résine, qui est plus sensible aux rayures et peut être moins performante optiquement.
- Les traitements de surface : Un traitement multicouche, antireflet, hydrophobe (qui repousse l’eau) et oléophobe (qui repousse les graisses) est un gage de qualité. Il facilite le nettoyage et minimise les risques de flare et de reflets parasites.
- La finesse de la monture : Pour les filtres circulaires, une monture fine (« slim ») est indispensable pour éviter le vignettage (assombrissement des coins de l’image) lorsque vous utilisez des objectifs grand-angle.
En se basant sur ces critères, on peut distinguer plusieurs segments. Les marques haut de gamme sont réputées pour leur quasi-parfaite neutralité et la robustesse de leurs produits. Le segment intermédiaire offre un excellent compromis, avec des performances très honorables pour un tarif plus contenu. Enfin, l’entrée de gamme doit être abordée avec prudence, car les économies réalisées à l’achat se paient souvent par une perte de qualité d’image notable.
Posséder le bon matériel est une chose, mais savoir l’utiliser correctement sur le terrain en est une autre, tout aussi essentielle.
Comment utiliser un filtre ND en photographie ?
L’utilisation d’un filtre à densité neutre, surtout pour les poses longues, requiert une méthodologie précise. Improviser conduit souvent à des photos floues, mal exposées ou gâchées par des fuites de lumière. Suivre une procédure étape par étape garantit des résultats constants et de qualité.
La préparation de la prise de vue
La stabilité est la clé de la pose longue. La première étape est donc de fixer solidement votre appareil photo sur un trépied robuste. Ensuite, suivez ces étapes avant de monter le filtre :
- Composez votre image : Cadrez votre scène exactement comme vous le souhaitez.
- Faites la mise au point : Utilisez l’autofocus pour faire une mise au point précise sur votre sujet. Une fois la mise au point effectuée, basculez votre objectif en mode de mise au point manuelle (MF). Cette action est cruciale, car elle empêche l’appareil de tenter de refaire le point une fois le filtre (très sombre) en place.
- Mesurez l’exposition de base : En mode priorité à l’ouverture (A ou Av), avec un ISO bas (100 ou 200), notez la vitesse d’obturation que l’appareil vous propose sans le filtre. Par exemple : f/8, ISO 100, 1/15s.
Le calcul du nouveau temps de pose
C’est ici que le filtre entre en jeu. Vous devez calculer la nouvelle vitesse d’obturation en fonction de la densité du filtre. La formule est simple : Temps de pose de base x Coefficient du filtre = Nouveau temps de pose. Avec notre exemple (1/15s) et un filtre ND1000, le calcul serait : 1/15s x 1000 ≈ 67 secondes. Pour simplifier ce calcul sur le terrain, de nombreuses applications mobiles (comme « PhotoPills », « LEE Stopper » ou « Long Exposure Calculator ») font le travail pour vous. Il suffit d’entrer l’exposition de base et la densité du filtre pour obtenir instantanément le temps de pose final.
La réalisation de la photographie
Une fois le calcul fait, le processus final peut commencer :
- Montez délicatement le filtre ND sur l’objectif, en veillant à ne pas bouger la bague de mise au point.
- Si vous utilisez un appareil photo reflex (DSLR), couvrez l’œilleton du viseur optique. De la lumière peut s’infiltrer par là pendant une pose longue et créer des traînées lumineuses sur l’image.
- Passez votre appareil en mode Manuel (M) ou Bulb (B). Réglez l’ouverture et l’ISO que vous aviez choisis, puis réglez la vitesse d’obturation sur la valeur que vous venez de calculer (67 secondes dans notre exemple).
- Utilisez un déclencheur à distance (filaire ou sans fil) ou le retardateur de l’appareil pour démarrer l’exposition. Cela évite de créer un flou de bougé en appuyant sur le déclencheur.
Le respect de ce protocole est la meilleure garantie pour exploiter tout le potentiel créatif de vos filtres ND.
Le choix d’un filtre ND est une démarche qui allie réflexion technique et ambition créative. Il convient de déterminer le système physique le plus adapté à sa pratique, qu’il soit vissant ou à porte-filtre, puis de trancher entre la qualité optique d’un filtre fixe et la polyvalence d’un modèle variable. La sélection de la densité, de la plus légère à la plus opaque, dépendra directement de l’effet visuel recherché et des conditions lumineuses. Finalement, investir dans des filtres de qualité et maîtriser la méthode de prise de vue sur le terrain sont les deux piliers qui vous permettront de transformer des scènes ordinaires en images extraordinaires, où le temps semble s’étirer pour révéler une beauté invisible à l’œil nu.