L’île de La Réunion, joyau de l’océan Indien, est souvent associée dans l’imaginaire collectif à une problématique complexe : la présence de requins près de ses côtes. Si les images de plages paradisiaques et de nature luxuriante dominent, la question du risque requin demeure une préoccupation pour les résidents comme pour les visiteurs. Les incidents, bien que statistiquement rares au regard de la fréquentation balnéaire, ont un impact médiatique et psychologique considérable. Comprendre ce phénomène impose de dépasser les mythes pour s’en tenir aux faits : analyser les origines de cette situation, identifier les espèces concernées, décrypter les facteurs de risque et détailler l’arsenal de mesures mises en place pour assurer la sécurité de tous les usagers de la mer.
Origines et prévalence des attaques de requins à La Réunion
La relation entre La Réunion et les requins est une histoire ancienne, mais elle a pris une tournure critique au cours des dernières décennies. La médiatisation de plusieurs incidents a façonné une perception de danger permanent, qu’il convient de nuancer avec des données factuelles et un contexte précis.
Un historique complexe et médiatisé
La Réunion a toujours connu la présence de requins dans ses eaux. Cependant, une augmentation notable du nombre d’attaques a été observée à partir de 2011, donnant naissance à ce que l’on a appelé la « crise requin ». Cette série d’événements a placé l’île au centre de l’attention internationale, la positionnant comme l’un des endroits les plus touchés au monde par ce type d’incidents par rapport à son linéaire côtier. Cette situation a profondément marqué la société réunionnaise et a contraint les pouvoirs publics à réagir de manière forte pour protéger la population et les activités nautiques, qui représentent un pan important de l’économie locale.
Statistiques des incidents : mettre les chiffres en perspective
Analyser les chiffres permet de comprendre l’ampleur du phénomène sans céder à la panique. Si chaque attaque est un drame, leur fréquence reste limitée. La majorité des incidents impliquent des surfeurs et des bodyboardeurs, pratiquant leur activité dans des zones non sécurisées. Les derniers incidents notables, survenus en 2022, ont relancé le débat public sur l’efficacité des mesures en place. Il est essentiel de contextualiser ces données pour évaluer le risque réel.
| Période | Nombre d’attaques recensées | Issue majoritaire | Activités les plus concernées |
|---|---|---|---|
| 2011-2016 | Plus d’une vingtaine | Souvent fatale | Surf, bodyboard |
| 2017-2022 | Moins d’une dizaine | Blessures graves | Surf, baignade hors zone |
Facteurs déclenchants des attaques
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette recrudescence. Elles vont des modifications environnementales liées à l’urbanisation du littoral à l’évolution des pratiques humaines en mer. La qualité de l’eau, notamment la turbidité près des ravines après de fortes pluies, est souvent citée comme un facteur aggravant. La compréhension de ces éléments est fondamentale pour élaborer des stratégies de prévention efficaces.
Cette analyse des origines et de la fréquence des attaques amène naturellement à s’interroger sur les principaux acteurs de ces interactions : les différentes espèces de requins qui croisent au large de l’île.
Espèces de requins présentes dans les eaux réunionnaises

Les eaux de La Réunion abritent une riche biodiversité marine, incluant plusieurs espèces de grands prédateurs. Toutefois, deux d’entre elles sont principalement mises en cause dans les incidents survenus près des côtes : le requin bouledogue et le requin tigre.
Le requin bouledogue : le principal concerné
Le Carcharhinus leucas, ou requin bouledogue, est considéré comme le principal responsable des attaques à La Réunion. Cette espèce est particulièrement redoutée pour plusieurs raisons. C’est un requin côtier, qui n’hésite pas à s’aventurer dans des eaux très peu profondes. Il possède une remarquable capacité d’adaptation aux eaux saumâtres, voire douces, ce qui lui permet de remonter les estuaires et les ravines. Son comportement est décrit comme territorial et particulièrement agressif, ce qui en fait une menace sérieuse dans les zones de pratique d’activités nautiques.
Le requin tigre : un prédateur opportuniste
Le Galeocerdo cuvier, ou requin tigre, est également impliqué dans certains incidents. Moins systématiquement agressif que le bouledogue, il n’en reste pas moins un superprédateur puissant et curieux. Son régime alimentaire est très varié, ce qui le rend opportuniste. Il est capable de s’approcher des côtes pour chasser, notamment au lever et au coucher du soleil. Sa taille imposante et la puissance de sa mâchoire en font un animal potentiellement très dangereux pour l’homme.
Autres espèces observées
Bien que les requins bouledogue et tigre focalisent l’attention, d’autres espèces peuplent les eaux réunionnaises. Leur implication dans des attaques est cependant quasi nulle ou non avérée. Parmi elles, on trouve :
- Le requin marteau (Sphyrna)
- Le requin de récif à pointes blanches (Triaenodon obesus)
- Le requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhynchos)
Ces espèces sont généralement plus craintives et moins préoccupantes pour les usagers du littoral. La connaissance précise des espèces présentes et de leurs comportements est une étape indispensable pour comprendre les raisons de leur présence accrue près des zones d’activités humaines.
Identifier les espèces impliquées est une chose, mais il est tout aussi crucial de comprendre les facteurs qui favorisent les rencontres et les incidents entre ces prédateurs et l’homme.
Facteurs responsables des incidents liés aux requins
La survenue d’une attaque de requin est rarement le fruit du hasard. Elle résulte d’une conjonction de plusieurs facteurs, qu’ils soient liés aux activités humaines, aux conditions environnementales ou au comportement même des animaux.
L’impact des activités humaines
Les pratiques humaines ont un rôle non négligeable. Le rejet d’eaux usées ou de déchets organiques à la mer peut attirer les requins en créant des sources de nourriture artificielles. De même, certaines pratiques de pêche, comme le rejet de prises non désirées, peuvent modifier le comportement alimentaire des prédateurs et les habituer à s’approcher des zones d’activité humaine. L’urbanisation croissante du littoral a également modifié les écosystèmes côtiers, impactant potentiellement l’habitat et les ressources des requins.
Les conditions environnementales et leur influence
L’environnement marin de La Réunion est dynamique et soumis à des variations qui peuvent augmenter le risque. Les eaux troubles, notamment après de fortes pluies qui charrient des sédiments et des matières organiques via les ravines, sont particulièrement dangereuses. La visibilité réduite rend la détection mutuelle entre l’homme et le requin plus difficile, augmentant le risque d’une attaque « exploratoire » ou par erreur. Les heures crépusculaires, à l’aube et au crépuscule, correspondent aux pics d’activité de chasse de nombreuses espèces de requins.
La raréfaction des proies naturelles
Une autre hypothèse, largement débattue dans la communauté scientifique, est celle de la raréfaction des proies habituelles des requins. La surpêche de certaines espèces de poissons pourrait contraindre les requins bouledogue et tigre à se rapprocher des côtes pour trouver des sources de nourriture alternatives, augmentant ainsi la probabilité de rencontres avec les humains.
Face à cette multifactorialité complexe, les autorités réunionnaises ont dû développer un ensemble de dispositifs de surveillance et de prévention pour gérer ce risque.
Surveillances et mesures préventives à La Réunion
Pour faire face à la « crise requin », La Réunion a mis en place un dispositif de gestion du risque parmi les plus complets au monde. Il combine surveillance humaine et technologique, protections physiques et information du public.
La surveillance active des côtes
Un des piliers de la stratégie est la surveillance en temps réel. Le dispositif des « Vigies Requins », composé de plongeurs et d’apnéistes postés sur des bateaux, surveille les fonds marins avant et pendant les sessions de surf autorisées. Cette surveillance humaine est complétée par des moyens technologiques comme l’utilisation de drones, qui offrent une vision aérienne précieuse pour repérer la présence de grands requins à proximité des spots.
Les dispositifs de protection passive
Sur certaines plages parmi les plus fréquentées, des filets anti-requins ont été installés pour créer des zones de baignade et d’activités nautiques sécurisées. C’est le cas notamment à Boucan-Canot et aux Roches Noires. Ces filets, qui s’étendent du fond marin à la surface, sont conçus pour empêcher l’intrusion des requins de grande taille. Leur efficacité dépend de leur maintenance et des conditions météorologiques, une forte houle pouvant les rendre inopérationnels.
La signalisation et l’information du public
L’information est un volet essentiel de la prévention. Un système de flammes est utilisé sur les plages pour indiquer le niveau de risque et les conditions de baignade :
- Drapeau vert : Baignade et activités nautiques autorisées et surveillées.
- Drapeau orange : Baignade déconseillée mais surveillée.
- Drapeau rouge : Baignade et activités nautiques interdites.
Des campagnes de sensibilisation régulières rappellent les consignes de prudence et les zones où la baignade et le surf sont strictement interdits par arrêté préfectoral.
En complément de ces mesures institutionnelles, de nombreuses initiatives portées par des acteurs locaux visent à affiner la connaissance et la gestion de ce risque.
Initiatives locales pour minimiser les risques de rencontre avec un requin

Au-delà des dispositifs de surveillance et de protection, la société réunionnaise s’est mobilisée à travers diverses initiatives pour mieux comprendre et cohabiter avec les requins. La recherche scientifique et les programmes de gestion active jouent un rôle central.
Le programme de pêche ciblée
Un programme de pêche préventive, baptisé « Cap Requins », a été mis en place. Il vise à réguler la population des requins les plus dangereux, le bouledogue et le tigre, dans les zones les plus proches des activités humaines. Cette mesure, parfois controversée, a pour objectif de diminuer la pression prédatrice aux abords immédiats des côtes. Les spécimens pêchés sont également utilisés pour des études scientifiques afin d’améliorer la connaissance de leur biologie et de leur comportement.
La recherche scientifique pour mieux comprendre
Le Centre Sécurité Requin (CSR) coordonne la recherche scientifique sur le sujet. Des programmes de marquage acoustique et satellitaire de requins sont menés pour suivre leurs déplacements, identifier leurs habitats préférentiels et comprendre leurs schémas de fréquentation des côtes. Ces données sont cruciales pour affiner les modèles de prévision du risque et adapter les stratégies de prévention de manière plus efficace et dynamique.
L’implication des associations et des usagers de la mer
Les associations d’usagers de la mer, notamment les clubs de surf et de plongée, sont des acteurs de premier plan. Elles participent activement à la diffusion des consignes de sécurité et à l’éducation de leurs membres. Leur connaissance fine du milieu marin et leur expérience sur le terrain sont une source d’information précieuse qui complète les dispositifs officiels. Cette implication citoyenne renforce la culture du risque et la résilience de la communauté face à cette problématique.
Grâce à la combinaison de toutes ces actions, institutionnelles et locales, il est aujourd’hui possible d’identifier des zones où la pratique des activités balnéaires peut se faire en toute quiétude.
Zones sûres pour la baignade à La Réunion
Malgré le contexte, il est tout à fait possible de profiter des joies de l’océan à La Réunion en toute sécurité. Il suffit de privilégier les zones spécifiquement aménagées et protégées, où le risque est maîtrisé.
Les lagons protégés par la barrière de corail
La côte ouest de l’île est bordée d’un magnifique lagon, protégé par une barrière de corail. Cet écosystème unique constitue une barrière naturelle efficace contre l’intrusion des grands requins. Les plages de L’Ermitage, de La Saline ou de Saint-Pierre offrent ainsi des zones de baignade peu profondes, aux eaux calmes et translucides, idéales pour les familles. La baignade y est sécurisée par nature.
Les plages sécurisées par des filets
Pour ceux qui souhaitent nager en pleine mer ou pratiquer des activités nautiques, les plages équipées de filets de protection sont la meilleure option. Les sites de Boucan-Canot et des Roches Noires à Saint-Gilles-les-Bains disposent de ces installations. Il est cependant impératif de toujours vérifier que le drapeau vert est hissé, signifiant que les filets sont bien en place, opérationnels et que la zone est surveillée.
Conseils pratiques pour une baignade sans risque
Pour une expérience sereine, il convient de respecter scrupuleusement quelques règles de bon sens et les réglementations en vigueur :
- Se baigner uniquement dans les zones autorisées, surveillées et sécurisées.
- Respecter la signalisation des plages (drapeaux de baignade).
- Ne jamais se mettre à l’eau si le drapeau rouge ou orange est hissé.
- Éviter de se baigner seul, tôt le matin ou tard le soir.
- Éviter les zones proches des embouchures de rivières, surtout après de fortes pluies.
- Ne pas porter d’objets brillants pouvant être confondus avec les écailles d’un poisson.
En suivant ces recommandations, le risque devient quasi nul, permettant de profiter pleinement de la beauté des côtes réunionnaises.
Le risque requin à La Réunion est une réalité complexe, mais qui ne doit pas occulter la possibilité de profiter de son littoral exceptionnel. La situation est le résultat d’une interaction entre des facteurs environnementaux et des activités humaines, impliquant principalement le requin bouledogue et le requin tigre. Face à ce défi, l’île a développé une stratégie de gestion du risque robuste, alliant surveillance, protection physique, recherche scientifique et information du public. Pour les résidents comme pour les visiteurs, la clé réside dans une approche informée et responsable : en choisissant les zones sécurisées comme les lagons ou les plages avec filets et en respectant les consignes de sécurité, la cohabitation avec l’océan et ses habitants peut se faire en toute sérénité.



