Terre de glace et de feu, l’Islande fascine par ses paysages spectaculaires et son histoire singulière. Forgée par les volcans et les glaciers, cette île de l’Atlantique Nord a également été façonnée par des vagues de colonisation, des luttes de pouvoir et une quête incessante d’identité. Son parcours, de l’isolement médiéval à la modernité complexe, révèle une nation résiliente, fière de son héritage et de son modèle politique unique. Comprendre son histoire, c’est décrypter l’âme d’un peuple qui a su transformer ses contraintes géographiques et politiques en une force distinctive sur la scène mondiale.
Découverte de l’Islande par les moines irlandais et les Vikings
L’histoire documentée de l’Islande commence bien avant l’arrivée des célèbres navigateurs scandinaves. Les premières traces d’une présence humaine sur cette terre inhospitalière sont attribuées à des hommes de foi venus d’Irlande, cherchant la solitude et l’isolement pour se consacrer à leur spiritualité. Ces pionniers ont laissé une empreinte discrète mais significative, préparant involontairement le terrain pour la vague de colonisation qui allait définir l’identité de l’île.
Les premiers habitants : les Papar
Avant que les drakkars ne fendent les eaux glacées de l’Atlantique Nord, des moines irlandais, connus dans les textes nordiques sous le nom de Papar, auraient été les premiers à s’établir en Islande. Fuyant les troubles de leur propre pays, ils recherchaient une terre de paix pour leurs ermitages. Leurs petites communautés, probablement établies dès la fin du VIIIe siècle, n’avaient cependant pas vocation à durer. Leur présence est surtout attestée par les récits des premiers colons vikings qui rapportèrent avoir trouvé des cloches, des livres et des crosses, objets typiques de ces ascètes chrétiens.
L’arrivée des navigateurs nordiques
La colonisation à grande échelle de l’Islande, ou Landnám, débute véritablement vers l’an 850 avec l’arrivée massive des Vikings, principalement originaires de Norvège. Fuyant la centralisation du pouvoir royal dans leur pays, ces chefs de clan et leurs familles cherchaient de nouvelles terres pour y établir une société libre, basée sur leurs propres lois. Ils ont rapidement mis en place un système de fermes autonomes, exploitant les ressources locales et important les traditions et la structure sociale du monde scandinave. Cette période de colonisation, qui s’étendit sur environ soixante ans, a posé les fondations démographiques, culturelles et linguistiques de la future nation islandaise.
Cette société de colons, farouchement indépendante, a rapidement ressenti le besoin d’une structure pour réguler les conflits et édicter des lois communes, menant à la création d’une institution politique sans précédent.
L’établissement du Parlement islandais et la conversion au christianisme
Face à la nécessité de maintenir la cohésion sociale et de prévenir l’anarchie au sein d’une population croissante, les chefs de clan islandais ont pris une décision historique : créer une assemblée commune. Cette initiative a non seulement donné naissance à une forme de gouvernance unique pour l’époque, mais a également été le théâtre d’un autre tournant majeur, la conversion de l’île au christianisme, un choix éminemment politique autant que spirituel.
La naissance de l’Althing à Þingvellir
En 930, les Islandais fondèrent l’Althing, considéré aujourd’hui comme le plus ancien parlement encore en activité au monde. Chaque été, des hommes libres de toute l’île se rassemblaient dans la plaine de Þingvellir pour une durée de deux semaines. Ce n’était pas seulement une assemblée législative, mais aussi un tribunal suprême et un grand événement social. Les lois étaient récitées de mémoire par le « diseur de loi » (lögsögumaður) depuis le Rocher de la Loi (Lögberg). L’Althing incarnait l’idéal d’un État libre, sans roi ni pouvoir exécutif central, où le pouvoir reposait sur un consensus entre chefs locaux.
Une conversion stratégique au christianisme
Vers l’an 1000, la question religieuse menaça de fracturer la jeune nation. Une partie de la population adhérait encore aux croyances païennes nordiques, tandis que l’influence chrétienne grandissait, notamment sous la pression du roi de Norvège. Pour éviter une guerre civile, les chefs réunis à l’Althing prirent une décision pragmatique. Ils confièrent au diseur de loi païen la tâche de trancher. Celui-ci décréta que toute l’Islande devait se convertir au christianisme, mais que les anciens rites païens pourraient continuer à être pratiqués en privé. Cet arrangement remarquable a permis une transition pacifique et a préservé l’unité du pays.
Malgré la consolidation de ses institutions, l’État libre islandais a fini par être fragilisé par des luttes de pouvoir internes, ouvrant la voie à l’ingérence d’une puissance étrangère grandissante.
L’influence norvégienne et l’âge d’or de la littérature islandaise
La période suivant la conversion fut marquée par une instabilité croissante. Les rivalités entre les grandes familles se sont intensifiées, plongeant le pays dans une ère de guerre civile connue sous le nom d’Âge des Sturlungar. Cette fragmentation du pouvoir a rendu l’Islande vulnérable à l’influence de la couronne norvégienne, qui cherchait à étendre son royaume. Paradoxalement, c’est durant cette période de troubles politiques que la culture islandaise a connu son apogée littéraire.
La fin de l’État libre et le Vieux Pacte
Au milieu du XIIIe siècle, l’anarchie régnait. Les chefs de clan, épuisés par des décennies de conflits, ont progressivement cédé à la pression du roi de Norvège. Entre 1262 et 1264, ils signèrent le Gamli sáttmáli (le Vieux Pacte), un traité par lequel ils acceptaient la souveraineté norvégienne en échange de la paix et de la garantie de liaisons commerciales régulières. Cet acte marqua la fin de l’État libre islandais. Les conséquences de ce pacte furent multiples :
- L’Althing perdit son pouvoir législatif au profit de la couronne.
- Un système fiscal fut mis en place au bénéfice de la Norvège.
- L’aristocratie locale fut remplacée par des fonctionnaires royaux.
L’âge d’or des sagas islandaises
Alors même que son indépendance politique s’effritait, l’Islande vivait un âge d’or culturel. Les XIIe et XIIIe siècles virent la mise par écrit des sagas, des récits en prose uniques qui constituent le joyau de la littérature islandaise. Ces textes, rédigés en vieux norrois, racontent les exploits des premiers colons, les conflits familiaux, les voyages et les mythes nordiques. Œuvres comme la Saga d’Egill ou la Saga de Njáll le Brûlé ne sont pas seulement des chefs-d’œuvre littéraires ; elles sont aussi des sources historiques et sociologiques inestimables sur la société viking. Cet héritage a profondément cimenté l’identité culturelle et linguistique des Islandais.
Cette période de soumission à la Norvège n’était cependant que le prélude à des siècles encore plus difficiles, marqués par des catastrophes naturelles et une domination étrangère encore plus pesante.
Les défis économiques et le passage sous domination danoise
La perte de l’indépendance coïncida avec une série de calamités qui plongèrent l’Islande dans une longue période de déclin. Des conditions climatiques défavorables, des éruptions volcaniques dévastatrices et des épidémies ont décimé la population et l’économie. Le changement de suzeraineté, avec le passage de la couronne norvégienne à la couronne danoise, n’a fait qu’aggraver la situation en instaurant un contrôle économique étouffant.
Catastrophes naturelles et déclin économique
À partir du XIVe siècle, l’Islande a subi les foudres de la nature. Le petit âge glaciaire a rendu l’agriculture plus difficile, tandis que des éruptions volcaniques majeures ont eu des conséquences dramatiques.
Principales catastrophes et leurs impacts
Événement | Période | Conséquences |
---|---|---|
Éruption de l’Hekla | 1300 | Famine prolongée, perte importante de bétail. |
Peste noire | 1402-1404 | Disparition d’environ la moitié de la population. |
Éruptions du Laki | 1783-1784 | Catastrophe majeure, mort d’un quart de la population et de plus de la moitié du bétail. |
Le monopole commercial danois
En 1380, par le jeu des unions dynastiques scandinaves, l’Islande, tout comme la Norvège, est passée sous le contrôle du Danemark via l’Union de Kalmar. En 1602, la couronne danoise a imposé un monopole commercial strict. Seules les entreprises danoises autorisées pouvaient commercer avec l’Islande, fixant des prix bas pour les exportations islandaises (poisson, laine) et des prix élevés pour les importations essentielles (céréales, bois). Ce système a étranglé l’économie locale pendant près de deux siècles, empêchant tout développement et maintenant la population dans une grande pauvreté.
C’est dans ce contexte de misère et d’oppression qu’un sentiment national a commencé à renaître au XIXe siècle, alimenté par le romantisme et le désir de retrouver la gloire de l’ancien État libre.
L’essor vers l’indépendance et la création de la république d’Islande
Le XIXe siècle a vu l’émergence d’un puissant mouvement indépendantiste en Islande. Inspirés par les courants nationalistes qui balayaient l’Europe et portés par une élite intellectuelle redécouvrant la richesse des sagas, les Islandais ont entamé une longue et patiente lutte pour recouvrer leur souveraineté. Ce combat, mené sur le terrain politique et culturel, a abouti à la restauration complète de leur indépendance au milieu du XXe siècle.
Le réveil du sentiment national
Le mouvement pour l’indépendance a été largement porté par des intellectuels et des poètes qui ont ravivé la fierté nationale en célébrant la langue islandaise et l’héritage de l’âge d’or. Ils ont milité pour la restauration des pouvoirs de l’Althing, qui avait été aboli en 1800 par les Danois. En 1845, l’assemblée fut rétablie, mais avec un rôle purement consultatif. Cette première victoire symbolique a néanmoins galvanisé le mouvement et ouvert la voie à des revendications politiques plus ambitieuses.
Les étapes clés vers la souveraineté
La marche vers l’indépendance s’est faite par étapes successives, négociées avec le Danemark. Chaque avancée a été le fruit d’une pression politique constante et d’un contexte international favorable.
- 1874 : Le Danemark accorde à l’Islande une constitution et un contrôle limité sur ses affaires intérieures.
- 1904 : L’Islande obtient l’autonomie. Un ministre des affaires islandaises est nommé, résidant à Reykjavik.
- 1918 : L’Acte d’Union reconnaît l’Islande comme un État souverain et indépendant, lié au Danemark par une union personnelle sous le même roi. Cet accord prévoyait une clause de révision après 25 ans.
- 1944 : Profitant de l’occupation du Danemark par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, qui coupait les liens entre les deux pays, l’Islande organise un référendum. Une majorité écrasante de la population vote pour l’abolition de l’union et l’établissement d’une république. Le 17 juin 1944, la République d’Islande est proclamée à Þingvellir.
La jeune république, après avoir navigué les eaux troubles de la Guerre Froide, a dû faire face à des défis d’un genre nouveau à l’aube du XXIe siècle, notamment une crise financière qui a secoué ses fondements économiques et politiques.
La crise de 2008 : impacts politiques et relation avec l’Union Européenne
Après des décennies de prospérité basées sur la pêche et l’industrie, l’Islande a connu au début des années 2000 une déréglementation financière massive qui a transformé son secteur bancaire en un géant international. Cette expansion fulgurante s’est terminée par un effondrement spectaculaire en 2008, plongeant le pays dans une crise profonde aux répercussions politiques et sociales durables, et ravivant le débat sur sa place en Europe.
L’effondrement financier et ses conséquences
En octobre 2008, les trois plus grandes banques du pays, dont les actifs représentaient plus de dix fois le PIB national, se sont effondrées en l’espace d’une semaine. La faillite a provoqué une dévaluation massive de la couronne islandaise, une flambée de l’inflation et du chômage, et une crise de confiance sans précédent envers la classe politique. Cet événement a déclenché la « Révolution des casseroles », des manifestations massives qui ont conduit à la démission du gouvernement de droite en janvier 2009. Un ancien premier ministre a par la suite été jugé, mais non condamné à une peine, pour négligence dans sa gestion de la crise.
La question européenne : un débat national
La crise a propulsé au pouvoir en 2009 une coalition de gauche qui a vu dans l’adhésion à l’Union Européenne et à l’euro une solution pour stabiliser l’économie. Une femme politique est alors devenue la première cheffe de gouvernement au monde ouvertement homosexuelle. Le pays a officiellement déposé sa candidature à l’UE. Cependant, le processus de négociation s’est heurté à des obstacles majeurs, notamment sur la question très sensible des quotas de pêche, pilier de l’économie islandaise. En 2013, un nouveau gouvernement de centre-droit, plus eurosceptique, a suspendu les négociations. En 2014, la candidature a été officiellement retirée, refermant, pour un temps, le chapitre européen de l’Islande et réaffirmant la volonté du pays de tracer sa propre voie.
De ses origines vikings à sa résilience face aux crises modernes, l’histoire de l’Islande est celle d’une lutte constante pour l’indépendance et la préservation de son identité unique. Le parcours de cette nation insulaire, marqué par la création du premier parlement, un âge d’or littéraire, des siècles de domination étrangère et des défis contemporains, témoigne de la capacité d’un peuple à forger son propre destin au milieu des forces de la nature et de la géopolitique.