La photographie de paysage, particulièrement avec des objectifs grand angle, repose souvent sur la maîtrise de la lumière et des reflets. Pour sculpter une scène, les photographes se tournent vers des filtres, notamment les filtres à densité neutre (ND), les dégradés (GND) et les polarisants (CPL). Cependant, l’architecture même des objectifs ultra grand angle, avec leur lentille frontale proéminente et bombée, interdit l’usage des traditionnels filtres vissants. Cette contrainte technique a donné naissance à des solutions sophistiquées et hautement spécialisées : les systèmes de porte-filtres. Conçus pour s’adapter à des optiques spécifiques, ces systèmes représentent un investissement matériel et technique, mais ouvrent un champ de possibilités créatives jusqu’alors inaccessibles pour les possesseurs de ces objectifs d’exception.
Comprendre les spécificités des filtres pour objectifs grand angle
Filtres vissants versus systèmes de porte-filtres
Le monde des filtres photographiques se divise en deux grandes familles. D’un côté, les filtres vissants, circulaires, qui se montent directement sur le filetage frontal de l’objectif. Ils sont simples et rapides à utiliser, mais présentent des limites majeures avec les focales très courtes. Le principal écueil est le vignettage, un assombrissement des coins de l’image causé par l’épaisseur de la monture du filtre. De plus, ils sont tout simplement incompatibles avec les objectifs à lentille frontale bombée, dépourvus de filetage. De l’autre côté, les systèmes de porte-filtres utilisent des filtres carrés ou rectangulaires qui coulissent dans un support (le porte-filtre) fixé à l’objectif via une bague d’adaptation spécifique. Cette modularité est leur plus grande force.
La problématique de la lentille frontale bombée
Certains des objectifs grand angle les plus performants du marché, comme le Canon EF 11-24mm f/4 L ou le Nikon AF-S 14-24mm f/2.8G ED, possèdent une lentille frontale très courbée et un pare-soleil fixe. Cette conception optique, nécessaire pour atteindre de tels angles de champ tout en corrigeant les distorsions, empêche physiquement de visser un filtre à l’avant. Les systèmes de porte-filtres dédiés contournent ce problème en se fixant non pas sur un filetage inexistant, mais directement sur le fût de l’objectif, souvent à la base du pare-soleil. Ils sont donc conçus sur mesure pour un modèle d’objectif précis, assurant un alignement parfait et une couverture complète de la lentille.
Les types de filtres utilisés : ND, GND et polarisants
Les systèmes de porte-filtres permettent de combiner les outils essentiels du photographe de paysage :
- Le filtre polarisant (CPL) : Il réduit les reflets sur les surfaces non métalliques (eau, feuillage, vitres) et sature les couleurs, notamment le bleu du ciel.
- Le filtre à densité neutre (ND) : Sorte de « lunettes de soleil » pour l’objectif, il réduit la quantité de lumière entrant sans altérer les couleurs, permettant des poses longues en pleine journée pour créer des effets de filé sur l’eau ou les nuages.
- Le filtre dégradé à densité neutre (GND) : Il est sombre sur une moitié et transparent sur l’autre, avec une transition douce ou dure. Il sert à équilibrer l’exposition entre un ciel très lumineux et un avant-plan plus sombre, une situation typique au lever ou au coucher du soleil.
La capacité à superposer ces filtres et à ajuster précisément la position d’un GND est un avantage décisif des systèmes de porte-filtres.
Maintenant que les défis techniques et les outils sont identifiés, il convient d’analyser en détail les bénéfices concrets que ces systèmes apportent à la pratique photographique quotidienne.
Les avantages des systèmes de porte-filtres pour la photographie
Flexibilité et créativité accrues
Le principal atout d’un système de porte-filtres est sa modularité. Un photographe peut facilement superposer deux ou trois filtres sans risque de vignettage important, ce qui est impossible avec des filtres vissants. Par exemple, il est courant de combiner un filtre polarisant pour gérer les reflets, un filtre GND pour maîtriser le contraste du ciel et un filtre ND pour allonger le temps de pose. De plus, la nature rectangulaire des filtres GND permet de les faire glisser verticalement dans le porte-filtre pour aligner parfaitement la ligne de transition avec l’horizon de la scène, offrant un contrôle créatif total que ne permet aucun filtre circulaire.
Qualité d’image préservée
Les systèmes de porte-filtres haut de gamme, souvent de 150 mm ou 180 mm pour les grands angles extrêmes, sont spécifiquement dimensionnés pour couvrir l’intégralité du champ de vision sans introduire de vignettage mécanique. Les filtres associés, généralement en verre optique de haute qualité avec des traitements multicouches, garantissent une neutralité colorimétrique quasi parfaite et une excellente transmission de la lumière. Cet investissement préserve le piqué et la fidélité des couleurs de l’objectif, ce qui est crucial lorsque l’on utilise des optiques professionnelles très onéreuses.
Universalité et investissement durable
Bien que le support initial soit souvent spécifique à une optique à lentille bombée, les filtres eux-mêmes (carrés et rectangulaires) sont standardisés par taille (100mm, 150mm, 180mm). Si le photographe change d’objectif pour un modèle avec un filetage classique, il lui suffit d’acheter une simple bague d’adaptation pour son système 100mm. Le jeu de filtres, qui représente la part la plus importante de l’investissement, est ainsi pérennisé et peut être utilisé sur une large gamme d’objectifs. C’est un système évolutif qui accompagne le photographe dans le temps.
Ces avantages significatifs expliquent la popularité de ces systèmes, malgré leur coût. Le marché est aujourd’hui animé par plusieurs marques concurrentes, chacune proposant des innovations et des approches distinctes.
Comparaison des systèmes de porte-filtres : nisi, lEE, haida et autres
Les acteurs majeurs du marché
Le choix d’un système de porte-filtres est une décision importante. Trois marques dominent le segment haut de gamme : Nisi, réputée pour ses innovations et sa qualité de construction ; Lee Filters, la référence historique britannique ; et Haida, qui offre un excellent rapport qualité-prix. D’autres acteurs comme Kase, Benro ou Rollei proposent également des solutions très compétitives, se différenciant souvent par des mécanismes spécifiques ou des kits complets attractifs.
Tableau comparatif des systèmes populaires
Pour y voir plus clair, voici une comparaison des caractéristiques clés de quelques systèmes phares pour objectifs à lentille bombée.
| Marque | Système phare (Taille) | Matériaux | Innovation notable | Gestion du polarisant |
|---|---|---|---|---|
| Nisi | S6 (150mm) / 180mm | Aluminium de qualité aviation | Système de blocage rapide, conception anti-fuites de lumière. | Filtre polarisant circulaire intégré, réglable via une molette externe, utilisable indépendamment. |
| Lee Filters | SW150 Mark II (150mm) | Aluminium | Système robuste et éprouvé, grande compatibilité. | Filtre polarisant 105mm qui se visse à l’avant, moins pratique à manipuler. |
| Haida | M15 (150mm) | Aluminium | Système de filtre polarisant magnétique « drop-in ». | Filtre polarisant circulaire insérable par l’arrière, très rapide à monter et démonter. |
| Kase | K150P / K170 (150/170mm) | Aluminium | Filtres réputés pour leur solidité (Wolverine). | Système « drop-in » similaire à Haida sur certains modèles. |
Points de différenciation clés
La principale bataille d’innovation se joue sur la gestion du filtre polarisant. Les systèmes comme le Nisi S6 ou le Haida M15, avec leur CPL intégré et indépendant, sont considérés comme plus pratiques sur le terrain. Ils permettent de régler la polarisation sans toucher aux autres filtres et de l’ajouter ou le retirer rapidement. Le système de Lee, bien que très qualitatif, peut s’avérer plus fastidieux, car le polarisant se monte à l’avant du porte-filtre. Le matériau de construction (aluminium contre plastique pour les options d’entrée de gamme) et la présence de joints d’étanchéité pour éviter les fuites de lumière lors des poses longues sont aussi des critères de choix essentiels.
Cette vision globale des marques et de leurs technologies doit maintenant être affinée, car le choix final dépendra inévitablement de l’objectif que vous possédez.
Quel porte-filtre choisir pour votre objectif grand angle ?
Pour les objectifs Canon (ex: 11-24mm f/4 L USM)
Cet objectif est l’un des plus exigeants en raison de son angle de champ extrême. Le système Nisi 180mm est spécifiquement conçu pour lui et garantit une absence totale de vignettage, même à 11mm avec deux filtres insérés. Lee Filters propose son SW150 Mark II avec une bague dédiée, mais un léger vignettage peut apparaître dans les angles à la focale la plus large. WonderPana offre également une solution robuste, mais souvent plus encombrante.
Pour les objectifs Nikon (ex: 14-24mm f/2.8G)
Le célèbre ultra grand angle de Nikon est bien pourvu en options. Le Nisi S6 avec son polarisant intégré est un choix très populaire pour sa praticité. Le Haida M15 et son CPL magnétique est une excellente alternative. Le Lee SW150 Mark II est également une option viable et éprouvée pour cet objectif, avec les considérations déjà mentionnées concernant la manipulation de son filtre polarisant.
Pour les objectifs Sigma Art (ex: 14-24mm f/2.8 DG HSM)
Cette optique, disponible en monture Canon EF et Nikon F, est compatible avec la plupart des systèmes 150mm conçus pour les objectifs de ces marques. Les systèmes Nisi, Haida et Kase proposent tous des adaptateurs spécifiques. Il est à noter que la version en monture Sony E (DG DN) est différente et nécessite un système adapté, comme le Nisi S6 pour Sony 14-24mm. Certains modèles Sigma Art permettent aussi l’insertion de filtres en gélatine à l’arrière, une solution d’appoint pour les filtres ND.
Pour les objectifs hybrides (ex: Sony FE 12-24mm f/4 G)
Le monde de l’hybride n’est pas en reste. Pour le zoom Sony 12-24mm f/4 G, le système Nisi S6 150mm est là encore une référence, assurant une couverture parfaite sans vignettage. Pour des optiques Micro 4/3 comme l’Olympus 7-14mm f/2.8 PRO, des marques comme Kase et Nisi ont développé des porte-filtres spécifiques qui prennent en compte la compacité de ces systèmes tout en offrant une performance sans compromis.
Une fois le matériel adéquat sélectionné, il reste à l’apprivoiser sur le terrain pour en tirer le meilleur parti.
Conseils pratiques pour optimiser l’utilisation des porte-filtres
Montage et démontage sur le terrain
La première règle est de s’entraîner chez soi, au calme. Familiarisez-vous avec le mécanisme de fixation du porte-filtre sur la bague d’adaptation et avec l’insertion des filtres dans les glissières. Sur le terrain, procédez avec méthode : montez d’abord la bague sur l’objectif, puis le porte-filtre, et enfin, insérez les filtres. Assurez-vous que l’objectif est propre avant de monter le système pour ne pas emprisonner de poussière. Gardez toujours un chiffon en microfibre à portée de main pour effacer les inévitables traces de doigts sur les filtres.
Gestion des reflets et des fuites de lumière
Lors de poses très longues avec des filtres ND puissants (ND1000 et plus), des fuites de lumière peuvent se produire entre les filtres ou entre le porte-filtre et l’objectif. Les systèmes de qualité intègrent des joints en mousse pour minimiser ce risque. Une autre source de lumière parasite est l’oculaire du viseur sur les reflex (DSLR). Pensez à le masquer avec le cache fourni avec l’appareil ou simplement avec un chiffon sombre pendant l’exposition. Cela empêche la lumière de pénétrer par l’arrière et de créer des reflets sur le capteur.
Entretien et transport de votre équipement
Un système de porte-filtres et son jeu de filtres en verre représentent un investissement conséquent. Il est impératif de les protéger. Utilisez une pochette de transport dédiée, souvent fournie, qui dispose de compartiments individuels pour chaque filtre. Pour le nettoyage, le processus est simple :
- Utilisez une poire soufflante pour enlever les plus grosses poussières.
- Passez délicatement un pinceau doux pour les particules adhérentes.
- Si nécessaire, utilisez un liquide de nettoyage optique et un chiffon en microfibre propre.
Un bon entretien garantit non seulement la longévité du matériel mais aussi la qualité optique de vos images.
L’application de ces bonnes pratiques est la clé du succès, mais il est tout aussi crucial de connaître les erreurs courantes pour les anticiper et les éviter.
Les erreurs à éviter lors de l’utilisation de porte-filtres
Négliger le vignettage
Même avec un système annoncé « sans vignettage », il faut rester vigilant. Cette promesse est généralement valable pour une configuration de base, souvent avec deux filtres. Si vous ajoutez une troisième glissière ou un accessoire supplémentaire, il est impératif de vérifier l’absence de vignettage à la focale la plus large de votre objectif. Prenez une photo test du ciel et examinez attentivement les coins. Un léger vignettage peut parfois être corrigé en post-traitement, mais un vignettage mécanique sévère ruinera l’image.
Forcer le montage du système
Un porte-filtre et sa bague d’adaptation sont des pièces de précision. Si vous sentez une résistance anormale lors du montage, ne forcez jamais. Arrêtez-vous, démontez et vérifiez que tout est correctement aligné. Forcer le montage risque d’endommager le pas de vis de la bague, le mécanisme de serrage du porte-filtre ou, pire encore, le fût de votre précieux objectif. La patience et la délicatesse sont vos meilleures alliées.
Utiliser des filtres de mauvaise qualité
C’est sans doute l’erreur la plus contre-productive. Investir dans un objectif professionnel à 2000 € et un système de porte-filtres à 200 € pour y glisser un filtre en résine bas de gamme à 30 € est un non-sens. Un filtre de piètre qualité introduira une dominante de couleur (souvent magenta ou verdâtre), réduira considérablement le piqué de l’image et sera plus sujet au « flare » (réflexions parasites). L’adage « une chaîne n’est jamais plus solide que son maillon le plus faible » s’applique parfaitement ici : la qualité de vos filtres doit être à la hauteur de celle de votre optique.
L’acquisition d’un système de porte-filtres pour objectif grand angle est une étape décisive pour le photographe de paysage souhaitant dépasser les contraintes techniques et libérer sa créativité. Le choix du système doit être mûrement réfléchi, en fonction de son équipement, de son budget et de sa pratique, en privilégiant les solutions qui allient qualité de fabrication et ergonomie. La maîtrise de son utilisation, de l’installation sur le terrain à l’entretien, ainsi que la conscience des pièges à éviter, sont les conditions indispensables pour transformer cet investissement en un puissant outil au service de la vision artistique.
